Le docteur Bonnemaison a-t-il provoqué de sa propre initiative la mort de patients arrivés en fin de vie ? C’est à la justice de le dire après une instruction minutieuse du dossier. Et ce processus judiciaire est normal. Cela ne signifie en aucune façon que le médecin est présumé coupable d’assassinat, mais il existe une loi dite « loi Leonetti » du nom de son initiateur, et il revient à la justice de vérifier que les principes fondamentaux de ce texte ont été rigoureusement respectés.
Or, quels sont ces principes ?
1. La loi maintient l'interdit fondamental de donner délibérément la mort à autrui (conservations des textes antérieurs).
2. En revanche, elle énonce l'interdiction de l'obstination déraisonnable (L. 1110-5 CSP alinéa 2). Est considérée comme déraisonnable l'administration d'actes « inutiles, disproportionnés ou n'ayant d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie. »
3. Le respect de la volonté des patients : l'appréciation du caractère « déraisonnable » est le fait du patient s'il est en état d'exprimer sa volonté. Sinon, c'est le médecin qui prend la décision, après avoir recherché quelle pouvait être la volonté du patient (existence de directives anticipées, consultation de la personne de confiance, de la famille), et avoir respecté une procédure collégiale.
4. La préservation de la dignité des patients et l'obligation de leur dispenser des soins palliatifs : lorsque des traitements considérés comme de l'obstination déraisonnable sont arrêtés ou limités, la loi fait obligation au médecin de soulager la douleur, de respecter la dignité du patient et d'accompagner ses proches.
5. La protection des différents acteurs est assurée par la traçabilité des procédures suivies.
En résumé, il s’agit donc de poser comme droit absolu celui de la personne de vivre dans la dignité et de pouvoir obtenir le cas échéant la fin d’un acharnement thérapeutique inutile.
Le problème réside dans le fait de savoir si la personne concernée est en état psychologique de prendre sereinement une telle décision. Mais en tout état de cause, il ne s’agit aucunement de légaliser l’euthanasie. Les médecins ont pour mission de soigner, et autant que possible de guérir, non de donner activement la mort, pas plus que quiconque au demeurant.
Il s’agit clairement de cesser d’administrer des soins compliqués ou difficilement supportables à une personne dont on sait que de toutes façons cela ne servira qu‘à prolonger indéfiniment et inutilement un état purement végétatif ou une souffrance insupportable.
Autre problème est la question de la dignité. Qui en décide ? Si la personne concernée est lucide, si elle est assurée de l’affection indéfectible de ses proches, si tous les soins lui sont administrés avec tact et application, alors on peut considérer qu’elle décide en toute lucidité et détermination.
Mais il peut arriver aussi que le regard des autres renvoie à la personne une image d’elle-même dépréciée qu’elle finit par intégrer, et de ce fait, ne se sent pas digne et ne s’accepte plus. Et c’est cette image qu’elle peut vouloir effacer en souhaitant disparaître. C’est le regard des autres qu’elle ne supporte plus. Serait-ce alors là sa propre volonté, exprimée en toute lucidité et en toute indépendance ? Ne serait-ce pas l’image qu’on lui renvoie d’elle qui la pousse au désespoir ?
Le généticien Axel Khan raconte comment dans son propre entourage, une parente qui ne supportait plus son état et ses souffrances, et qui avait clairement et en toute connaissance exprimé le souhait de mettre fin aux soins qu’on lui prodiguait afin d’en finir, avait subitement changé d’avis après qu’on lui eût manifesté ostensiblement toute l’affection et l’attachement dont elle était l’objet.
Enfin, il reste le cas des personnes qui sous l’effet de souffrances sont privées de tout discernement et qui ne supportent plus l’acharnement thérapeutique dont elles sont l’objet, ou celles qui ne jouissent plus d’aucune autonomie ni plus de conscience de soi. Mais ce cas est prévu dans la loi Leonetti. Il n’appartient pas au seul médecin d’en décider entre les murs et le silence de son cabinet, ni aux seuls proches. Et il ne faut en aucun cas que le facteur économique ou simplement utilitaire l’emporte sur tous les autres critères. Sinon, la dérive vers l’eugénisme ne serait plus très éloignée. On a hélas connu une époque et un lieu où la dignité humaine et le droit de vivre se mesuraient en fonction de la capacité productive de chacun. Et on ne peut non plus omettre les cas ou le sordide l’emporte sur l’humain.
Donc, la loi Léonetti est pleine de sagesse et se suffit à elle-même, et revenir chaque fois sous le coup de l’émotion à la question de l’euthanasie ou du droit d’interrompre une vie ne fait que parasiter le problème suffisamment complexe en soi.
Dans ce domaine, chaque cas est un cas d’espèce, et il est utile que chaque fois que nécessaire, la justice intervienne, non pas pour punir ou absoudre, mais pour vérifier que l’éthique en la matière a été respectée.