Le fait que les présidents Jacques Chirac, puis François Hollande aient mis en cause la responsabilité de la France dans la rafle du Vel d’Hiv des 16-17 juillet 1942 fait débat. Rappelons que ce jour-là, à Paris, 9 000 policiers et gendarmes français, ont raflé sur ordre les Juifs, dirigés d'abord sur Drancy, avant d'être convoyés vers les camps de la mort. Le 17 juillet, en fin de journée, le nombre des arrestations dans Paris et la banlieue s'élevait à 13 152 dont 4 115 enfants selon les chiffres de la préfecture de police. Parmi eux, moins de cent adultes mais aucun enfant reviendront de la déportation.
Mais pour le général de Gaulle, Georges Pompidou, puis François Mitterrand, le pouvoir de Vichy n’était pas la France.Il fallait que dans la conscience collective, la France ne fût que résistante ou combattante.
Pour eux, donc, la responsabilité d’une telle forfaiture incombe à un pouvoir illégitime, donc nul et non advenu.
D’un point de vue moral, certes. L’antisémitisme affirmé et la soumission sans réserve aux occupants nazis de la part du régime de Vichy bafouaient l’héritage des Lumières et toutes les valeurs de la République et sortaient du champ de la tradition.
Mais d’un point de vue strictement juridique, où était la France entre 1940 et 1945 ?
Ici encore, rappelons les faits, fussent-ils douloureux
Le 10 juillet 1940 , l’Assemblée Nationale (Chambre des députés et Sénat réunis) est appelée à accorder au gouvernement du maréchal Pétain réfugié à Vichy les pleins pouvoirs.
Les parlementaires inscrits étaient au nombre de 846 (544 députés et 302 sénateurs) sur les 907 députés et sénateurs inscrits en 1939.. Seuls 670 (sur les 907 parlementaires) participent au vote (426 députés et 244 sénateurs) ;
176 d'entre eux sont absents dont 27 sont à ce moment-là en mer vers Casablanca sur le paquebot Massalia (véritable piège tendu à ceux qui étaient tentés de s'opposer à une capitulation, 26 députés et un sénateur) ainsi que 17 parlementaires décédés et un grand nombre se trouvant, à cause de la guerre, dans l'impossibilité de rejoindre Vichy ou ne souhaitant pas s'y rendre. 61 parlementaires communistes (60 députés et un sénateur) ne peuvent siéger : depuis le 16 janvier 1940, ils sont déchus de leur mandat à la suite du pacte germano-soviétique et du décret-loi d’Edouard Daladier du 26 septembre 1939 interdisant le Parti communiste. La séance est présidée par Jules Janneney (qui ne prend pas part au vote en raison de sa fonction).
Sur 649 suffrages exprimés :
- 80 parlementaires (57 députés et 23 sénateurs) votent « non » ;
- 569 approuvent (357 députés et 212 sénateurs) (soit 87,67 % des suffrages exprimés) ;
- 20 autres parlementaires s'abstiennent (12 députés et 8 sénateurs dont 3 après une demande de rectification de leur vote).
Les 649 suffrages exprimés représentent 71,55 % des 907 parlementaires que comptaient les deux Chambres au début de 1940 et les voix « pour » représentent 62,73 %.
Le texte adopté était :
« Article unique.
L’Assemblée nationale donne tout pouvoir au gouvernement de la République, sous l’autorité et la signature du maréchal Pétain, à l’effet de promulguer par un ou plusieurs actes une nouvelle constitution de l’État français. Cette constitution devra garantir les droits du Travail, de la Famille et de la Patrie.
Elle sera ratifiée par la Nation et appliquée par les Assemblées qu’elle aura créées. La présente loi constitutionnelle, délibérée et adoptée par l’Assemblée nationale, sera exécutée comme loi de l’État »
— Fait à Vichy, le 10 juillet 1940
— Par le président de la République,
— Albert Lebrun
— Le maréchal de France, président du conseil,
— Philippe Pétain.
Le texte voté n'entraînait pas explicitement la dissolution des Chambres. Il ne s'agissait pas non plus d'une motion d'abrogation des lois constitutionnelles de 1875 qui avaient établi la Troisième République.
Clairement, on s’était acheminé légalement et dans les règles vers un pouvoir autoritaire. Certes, on peut penser que vu la situation catastrophique dans laquelle se trouvait le pays, les parlementaires ont réagi « la trouille au ventre » et de la sorte, privés de leur libre arbitre. Mais 80 d’entre eux avaient eu une attitude courageuse et leur réaction aurait pu servir d’exemple. En tout état de cause, le nouveau pouvoir avait tous les attributs de la légalité et de la légitimité. Au demeurant, il était le seul reconnu officiellement jusqu’en 1944 par les pays étrangers. Il était donc bien la France légale.
Sinon, comment considérer par exemple le gouvernement du général de Gaulle de 1958, revenu au pouvoir à la suite d’une véritable tentative de coup d’état et sous la menace d’une arrivée des parachutistes sur Paris ? Là aussi, après un baroud d’honneur sur les boulevards, les représentants de la Nation ont cédé, la panique aux entrailles, et ont livré les clés de la République à « l’homme providentiel » qui n’a jamais désavoué les putchistes d’Alger. Et pourtant, aux yeux de la majorité des citoyens, la République n’a jamais cessé d’exister.
L’Histoire nous démontre que bien des pays ont connu au fil du temps des heures sombres et peu glorieuses, mais que de leurs entrailles a toujours surgi le sursaut salvateur sans qu’il faille occulter le passif. L’Allemagne l’a brillamment montré, qui a su clairement solder son sinistre passé nazi