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22 février 2010 1 22 /02 /février /2010 13:38
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Aux agressions successives en milieu scolaire et qui tendent à se multiplier, les autorités administratives donnent de mauvaises réponses, non pas parce que les postes supplémentaires offerts sont insuffisants, et ils le sont, mais parce que le problème interpelle toute la société et nécessite une mobilisation générale qui dépasse largement un problème scolaire ou d'effectifs. Certes, s'agissant des actes de violence perpétrés au sein même de la communauté scolaire, un personnel compétent plus nombreux permettrait de réduire les risques et ce serait déjà un progrès appréciable pour assurer un climat plus supportable dans l'ensemble des établissements. Mais que désormais, des individus étrangers au milieu scolaire n'hésitent plus à pénétrer dans l'établissement pour régler par la violence des problèmes qui à l'évidence ne concernent aucunement la vie scolaire, comme si aucune autorité présente ne paraissait les intimider, démontre sans conteste que ce sont les règles de la vie sociale qui ont changé. C'est donc l'ensemble du personnel politique qui est interpellé. C'est la société entière qui doit se mobiliser pour redéfinir les droits et les devoirs de chacun, sans oublier les conditions économiques et sociales d’une vie décente. Viendra ensuite seulement le problème du comment et des moyens, et ils devront sans doute être importants, tant le problème est profond et grave. Si nous voulons "repacifier" le vivre ensemble, car c'est bien de cela qu'il s'agit, il ne suffira pas de se contenter d'une simple gestion comptable du problème. La paix sociale mérite bien plus qu'une calculette.

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22 février 2010 1 22 /02 /février /2010 13:37
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La démographie et les avancées technologiques condamnent immanquablement la nature à être transformée par la main de l’homme, et les modes de vie anciens à disparaître. Il est vain, donc, d’entretenir le mythe de l’Eden originel, et prétendre maintenir la nature intacte est une imposture.

Il faut se méfier des gourous de l’écologisme béat comme des apprentis sorciers du technologisme triomphant. Ce sont parfois les mêmes qui nous promettaient naguère avec un acharnement aveugle et un sectarisme forcené des lendemains qui chantent.

Simplement, restons vigilants et veillons à préserver un sain environnement bénéfique à l’homme, et attachons-nous à ne promouvoir le progrès qu’à son profit Tout progrès qui ne conduirait en fin de compte qu’à exclure l’homme ou à le pénaliser dans son intégration sociale devrait être banni ou jugulé.

Et foin! de tout intégrisme
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22 février 2010 1 22 /02 /février /2010 13:35

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centre commercial-ac387"Beaucoup de Français veulent consommer en famille. Pourquoi le leur interdire?" demande Richard Maillé, député(UMP) des Bouches du Rhône.

Ses arguments pour l'ouverture dominicale des magasins des villes se veulent d'ordre sociétal (les achats en famille) et économique (les commerces réalisent plus du tiers de leur chiffre d'affaires sur cette journée).

L'argument sociétal: Voudrait-on vraiment offrir à la société pour seul modèle de loisir familial les courses du dimanche, les enfants en file indienne derrière leurs parents à travers les interminables halls des grandes surfaces? Nous voilà alors entrés de plain-pied dans l'ère du consumérisme. On déplore déjà que souvent, en semaine, les enfants se retrouvent seuls à la maison au sortir de l'école parce que les parents travaillent. Faudrait-il que de surcroît, le dimanche, ils soient condamnés ou bien à parcourir les magasins où ils n'ont rien à faire, ou bien à se morfondre seuls à la maison devant la télé pendant que leurs parents travaillent, font du lèche-vitrine ou la queue derrière les comptoirs?

Au demeurant, la loi des 35 heures n'avait-elle pas pour une des vertus de libérer du temps qui, outre l'ouverture aux loisirs, aurait permis aux salariés de faire leurs courses sans empiéter sur le temps du partage familial? D'ailleurs, ne remarque-t-on pas que depuis cette loi, les commerces sont bien plus fréquentés le vendredi soir?

Mais c'est l'argument économique, et secondairement social qui semble ici l'emporter. En effet, "sachant que 70% des achats du dimanche sont exclusifs à cette journée, c'est un levier important pour notre économie". De même, "Pour quelle raison empêcherait-on 47% des Français ... de travailler"? Et "le pouvoir d'achat des Français doit être relancé".( dixit M.Maillé)

Mais M. Maillé ne se demande pas pourquoi par exemple on empêche les plus de 57ans de conserver leur emploi, eux qui voudraient bien travailler, ou bien encore pourquoi on réduit de plus en plus de travailleurs à un chômage forcé en supprimant brutalement leur emploi. Ceux-là aussi voudraient exercer leur droit fondamental au travail, et disposer d'un pouvoir d'achat décent.

Le travail du dimanche contribuerait à accroître le pouvoir d'achat des Français nous dit-on. N'y aurait-il pas un moyen plus progressiste d'y parvenir qui consisterait à augmenter les salaires? En outre, les heures supplémentaires ne bénéficieraient qu'à ceux qui auraient déjà un emploi et relèveraient d'abord de la décision du patron et non pas de celle des employés. Car ne nous berçons pas de mots. Le volontariat des heures supplémentaires ou du travail du dimanche tournerait vite à une obligation déguisée, l'embauche se voyant préalablement subordonnée à une acceptation systématique de ces conditions à la discrétion du patron. N’a-t-on pas vu récemment un patron menacer ses employées de licenciement parce qu’elles refusaient de travailler le dimanche ? Parce que Etelvina  F ... 46 ans et Elise K ... 40 ans mères de famille n'avaient aucune envie de travailler le dimanche le magasin ED d'Oyonnax les a flanquées à la porte.  De même, les salariés de La Halle aux Chaussures et de Chausseland risquent bientôt de se voir imposer le choix entre travailler le dimanche ou être mutés, et on ne sait vraiment où. C’est le patron, disent-ils qui fixe l’organisation du travail de l’entreprise ; Que répond M.Maillé ?

Mais plus généralement, la civilisation occidentale d'influence judéo-chrétienne a retenu le dimanche comme journée chômée. Initialement consacrée à la célébration du culte, cette journée est devenue celle du partage familial ou de la convivialité. Il serait concevable de choisir un autre jour, mais que cet espace de liberté soit préservé afin que chacun, libéré des contraintes de la vie laborieuse puisse se consacrer à ses propres aspirations et à son épanouissement personnel. Il faut qu'au temps du travail puisse succéder le temps du loisir et du partage. Et comment la famille ou le groupe pourrait-il se retrouver pour la joie ou le plaisir si un jour précis ne lui était pas octroyé? Pour M.Maillé, un projet de société n'est-il concevable que gouverné par des impératifs économiques? La vraie rupture serait que la politique retrouve pleinement ses droits et gouverne l'économie. Le Général De Gaulle n'avait-il pas affirmé que "la politique ne se fait pas à la Corbeille", et dans un style plus trivial, Edith Cresson n'avait-elle pas avoué que "la bourse, j'en ai rien à cirer"? Tout un programme.

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22 février 2010 1 22 /02 /février /2010 13:33
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De tous les débats portant sur le clonage chez l’être humain, il ressort qu'au cœur du problème se trouve posée la question du statut de l'embryon.

Ou bien dès sa conception l'embryon doit être considéré comme une personne, et il convient alors de s'interroger sur le bien fondé du droit à l'IVG. Car, dans ce dernier cas précis comme dans celui du clonage, l’embryon est bien « chosifié ».

Ou bien l'embryon, lorsqu'il ne procède pas d'un projet parental, n’est encore jusqu'à un stade très précoce qu’un objet biologique. Alors, comme l’on n’autorise l’IVG que dans le but de sauver la santé physique ou psychologique d'une femme, il serait légitime d'autoriser le clonage thérapeutique pour sauver des vies humaines.

S'agissant de considérer et donc d'admettre le clonage reproductif comme un dernier recours dans des situations de détresse des couples stériles, le généticien Michel Revel prend en compte uniquement le "droit àl'enfant", mais qu'en est-il du "droit de l'enfant"? Faudrait-il à tout prix satisfaire ce "droit à l'enfant" érigé en un droit absolu et inaliénable assimilable à un acharnement procréatif? Et on ne reviendra pas sur le fait évident et regrettable qu’un enfant né de clonage se verrait voué avant même sa naissance à un destin déterminé par autrui ; il serait assigné à un objectif bien précis. Qui lui échapperait complètement.

Quant à relativiser la notion de paternité biologique pour légitimer le clonage reproductif hors filiation en se fondant sur les adoptions réussies, il suffit de se référer au drame que vivent les personnes nées sous X en quête pathétique de filiation biologique, même quand elles sont aimées et entourées par leur famille adoptive, pour comprendre l'importance de ce concept dans nos cultures et ne pas trop le traiter avec désinvolture.

Enfin, la question de la manipulation de l'embryon est le plus souvent associée à celle de l'eugénisme. Ne conviendrait-il pas tout de même de bien différencier ce qui relèverait d'un projet de société et ressortirait donc de l'eugénisme, et ce qui émergerait d'un dialogue singulier entre le médecin et de futurs parents soucieux de la bonne santé de leur enfant, et dont la légitimité ne pourrait être contestée.

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22 février 2010 1 22 /02 /février /2010 13:32
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J’ai évoqué par ailleurs les refuges provisoires du lycée Albert Sarraut de Hanoï que j ‘ai personnellement fréquentés à Hadong et peut-être aussi Lon Chau. Mais il me faut tout de même rappeler aussi cette courte période de 1946 à 1948 où les classes du primaire et du premier cycle secondaire, au moins la 6è, étaient hébergées dans une grande maison particulière près du grand jardin public voisin de la Citadelle, et plus tard au collège Félix Faure qu’avait dirigé Madame Raspail, peut-être Boulevard Félix Faure où habitait mon grand-père, ou non loin de là.

Là, après deux années d’interruption, j’avais d’abord réintégré la classe de 7è sous le magistère de Madame Donnet, puis la sixième dont les enseignements étaient assurés par Mesdames Chevalier, Le Gall, et bien d’autres dont les noms m’échappent aujourd’hui.

J’avais pour condisciples entre autres Nadine Fosse virtuose du piano devenue beaucoup plus tard professeur de chant de l’excellent comédien Jean Lepoulain je crois, Caroline Ngoc, André Le Lan, , Gaston Berger, Adolphe Butreau, en 7è, les mêmes en 6è ainsi que Georges Bas, Gilles Thibaut et d’autres gais lurons qui me pardonneront d’avoir laissé échapper de ma mémoire leur nom. C’est au cours de cet intermède précédant la réintégration du Lycée dans ses propres murs que les galopins que nous étions avions mené les espiègleries les plus effrénées. Ainsi, par exemple, au sortir des cours en fin d’après-midi, nous nous partagions en différentes équipes, devrais-je dire plutôt différentes armées, et munis de lance-pierres et de menus cailloux en guise de munitions, inconscients que nous étions des dangers d’un tel jeu, nous nous livrions à ce qui paraissait comme une véritable bataille rangée, les arbres plantés le long des trottoirs nous servant d’abris contre les tirs « ennemis ». Et je me souviens qu’une fois au moins, l’un des « belligérants » avait reçu un tir en plein front, exhibant involontairement une plaie ouverte saignant abondamment.

Puis, passé directement en 4è alors que le lycée avait récupéré ses propres locaux, j’eus pour compagnons d’études entre autres Serge Bernard- Luneau, Jean-Marie Cotteret, Louis Berthet, Louis Long, Clément Richard, Claude Lion-Cerf, Huhuette (ou Pierrette ?) Huard, Dang footballeur émérite, les frères Barraut, Louis et Yvonne Robert, Lucette Picaudet et bien d’autres. De cette année particulièrement, le souvenir de Monsieur Nam Son notre professeur de dessin m’est resté comme celui d’un sage autant que d’un artiste-poète.

 Outre les rituelles « batailles rangées », il nous arrivait tout de même d’avoir des loisirs plus bucoliques ou simplement pacifiques. Le jardin botanique n’était pas bien loin, et nous entreprenions de paisibles randonnées à bicyclette en grappes compactes et piaillantes. Ou même quelques fois, quelques-uns entraînés par l’un de nous faisions une incursion dans l’une des ruelles jouxtant la rue Paul Bert pour savourer dans un sympathique bouiboui un pho réconfortant. Le plus souvent me semble-t-il, nous sillonnions de long en large du haut de nos vélos la rue Paul Bert, artère principale de la ville. Certains d’entre nous pratiquions également hors du cadre réglementaire des activités sportives, entrainés par nos professeurs d’éducation physique Messieurs Merkel et Chaussidière : athlétisme, ( barre fixe et barres parallèles notamment), volley-ball, boxe même. Tout cela laissait planer au sein du lycée, au moins pour nombre d’entre nous une atmosphère qui dépassait largement le cadre strictement scolaire et faisait de nous une sorte de sympathique confrérie que traduit sans doute aujourd’hui encore la persistance de l’ association de l’ALAS rassemblant des anciens du lycée.

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22 février 2010 1 22 /02 /février /2010 13:31
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Depuis l’entrée des troupes du Général Leclerc à Hanoï, en mars 1946, un accord avait été passé entre l’autorité française restaurée et l’équipe de Ho Chi Minh qui avait proclamé unilatéralement l’indépendance du Viet-Nam.

Durant l’été 1946 donc, régnait un climat incertain, de transition, où apparemment personne n’était le véritable maître de la situation, où il semblait qu’un rien, la moindre étincelle, pourrait mettre le feu aux poudres. Patrouilles mixtes selon les accords passés entre le général Leclerc et Ho-Chi-Minh, composées pour moitié de soldats français, pour l’autre moitié de soldats viet-minh qu’on apercevait pour la première fois au grand jour, coiffés d'un casque kaki et précédés du fanion rouge à étoile jaune, se livraient à une sorte de ballet d’allées et venues dans les rues à la tombée de la nuit.

Les half-tracks grondaient d’un bruit d’enfer sur leurs chenilles qui  secouaient le sol d’un tressaillement nerveux. Leurs phares déchiraient l’obscurité d’un faisceau de lumière blanchâtre qu’on apercevait dans la rue avant même qu’ils ne soient apparus au carrefour. Puis on les voyait se fondre progressivement dans la nuit à mesure que leur silhouette était tirée par le rayon lumineux qui se rétrécissait rapidement à l’extrémité de la rue. Le vrombissement des moteurs et les trépidations de la terre étaient à l’unisson de l’atmosphère de plomb que la chaleur de l’été faisait planer dans l’air. Nous délaissions les intérieurs, où les ailes des ventilateurs tournoyaient aux plafonds dans le vide, et chacun cherchait une hypothétique fraîcheur dans les bras de fauteuils en rotin disposés çà et là dans la cour gravillonnée. On rêvassait ou les adultes papotaient en attendant le passage de la prochaine patrouille, perpétuelle noria passablement rassurante. Il semblait que la vie allait conyinuer ainsi indéfiniment.

Et puis, au soir du 19 décembre 1946, une explosion nous annonça une rupture brutale dans le rituel quotidien, et le crépitement des armes à feu nous fit comprendre que tout allait changer. Nous saurions plus tard dans la nuit que la guerre avait commencé. La centrale électrique avait sauté. Fusillades et canonnades déchirent brutalement le calme trompeur de la soirée.

Une soirée condamnée donc à l'obscurité.

Ho Chi Minh venait de déclencher le soulèvement qui allait jeter les Viêt-minh dans les maquis  et la population hanoïenne dans la crainte permanente des attentats ou des tentatives d’empoisonnement, intensifiée encore par une sorte de paranoïa collective entretenue par les rumeurs et le bouche à oreille. Cette nuit-là donc, les explosions et les rafales d’armes automatiques emplissaient l’espace, nous tenant éveillés dans une agitation fébrile. Les tirs n’avaient commencé à s’espacer qu’au lever du jour. Alors, campés dans la cour de chez mon grand-père où nous habitions provisoirement, les enfants que nous étions observions, curieux et craintifs, les va-et-vient incessants des pelotons de soldats à pied ou motorisés, armés jusqu’aux dents et l’œil attentif aux alentours.

De temps en temps, un tir plus soutenu obligeait les militaires à se jeter au sol ou à s’abriter derrière un arbre, d’où ils répliquaient apparemment au hasard, en se fiant semblait-il, à la direction d’où paraissait provenir le son. Toute la matinée avait retenti du bruit des armes à feu. Un calme relatif s’était imposé au début de l’après-midi, comme si les tireurs s’étaient laissé gagner par la fatigue des combats.

Mes frères et sœur, mes cousin et cousine et moi-même formions une marmaille curieuse et excitée, aiguillonnée par l’envie d’aller voir de plus près les événements dont seuls les bruits nous parvenaient. Profitant donc de l’accalmie, nous nous échappions de la maison, et partions explorer les environs, l’esprit fureteur et chapardeur exacerbé par le climat troublé du moment.

Dans le quartier voisin, non loin de la clinique Saint-Paul ou de la pension Jeanne d’Arc autant qu’il m’en souvienne, se trouvait un monastère bouddhique, peut-être la Pagode des Corbeaux, ceinturée d’une haute muraille. Voulant l’escalader aidé de mon cousin faisant la courte échelle, j’achevai un rétablissement lorsque mon regard cherchant un point de chute dans l’allée de bananiers qui longeait l’intérieur de l’enceinte, j’aperçus le corps d’un malheureux soldat allongé face contre terre, les bras presqu’en croix, une jambe repliée sur l’autre à moitié arrachée. Une frayeur violente me saisit et me rejeta d’un coup de rein au pied du mur. Rameutant la troupe, je pris mes jambes à mon coup et suivi de mes comparses affolés, je détalai  en direction de la maison.

Après une courte course effrénée, haletants, nous nous arrêtâmes pour reprendre notre souffle. Nous accordant le temps de la réflexion, nous promenions notre regard curieux  alentour. Alors, nous apparut la bâtisse d’une imprimerie pour l’heure apparemment abandonnée. Du moins le portail était béant. Timidement, comme à regret, nous y pénétrâmes, inspectant les lieux. Dans une pièce, des rouleaux de papier comme des serpentins étaient empilés, ils représentaient pour nous un butin précieux. Nous nous en chargeâmes, remplissant une caisse trouvée sur place. Plus loin, dans un hangar, une réserve de savonnettes blanches nous donnait l’impression que nous explorions une caverne d’Ali Baba. Bien entendu, nous l’emportions. Le chargement devenait encombrant et lourd. Mais, pour rien au monde nous ne nous en serions débarrassés.

La sortie s’effectuait avec panache, comme si nous avions exploré une nouvelle Amérique dont nous aurions recueilli les richesses. Mais dans notre enthousiasme, nous avions oublié le danger. Subitement, sur le trottoir, un tir d’arme automatique crépita dans notre direction. Probablement, des guetteurs avaient pris nos silhouettes courbées sous le poids des rouleaux de papier et des savonnettes pour des tireurs isolés en fuite. N’écoutant que notre panique, et sans nous consulter, nous détalons bride abattue, cramponnés malgré tout à la malheureuse caisse recelant notre trésor, mais que les mouvements désordonnés de notre course commençaient à semer comme les cailloux du petit poucet le long de notre fuite.

Avec la vitesse de rats pourchassés que nous donnait notre peur au ventre, et poursuivis encore par les rafales du fusil automatique, nous parvenions enfin devant le portail de la maison, que nous ouvrîmes fébrilement.

Enfin rentrés. Jamais je ne crois avoir ressenti un tel soulagement de me retrouver dans nos murs.

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22 février 2010 1 22 /02 /février /2010 13:30
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1945 : Enfin la guerre est finie. En fait, au moins pour ce qui concernait l’Indochine, en 1945 encore française, la réalité de son achèvement ne s’est pas imposée de façon aussi simple. Des rumeurs couraient, nous entendions les adultes évoquer la défaite japonaise, l’imminence d’une arrivée des Américains, qui représentaient pour nos esprits d’enfants des êtres exceptionnels, un peu surnaturels. Nous étions en septembre. Savait-on seulement qu’une bombe atomique avait été lachée sur le Japon ?

Il me semblait qu’à la suite de cet événement, la vie allait se transformer, devenir édénique, que nous allions connaître une soudaine abondance de toutes choses dont je n’imaginais même pas la nature exacte. Il me suffisait d’évoquer la notion d’abondance comme le synonyme de bonheur ou de plénitude. Mon père était encore prisonnier des Japonais, et j’espérais une prompte libération, qui vint peu après que nous eussions reçu l’autorisation de lui rendre une visite quotidienne à la Citadelle de Hanoï  où il était détenu.

Je me souviens de ces visites au cours desquelles je découvrais l’univers des prisonniers de guerre dont d’ailleurs, le climat relâché du moment aidant, le sort me semblait curieusement supportable. On percevait très nettement le laisser-aller que les Japonais, en train de passer de l’état de vainqueurs à celui de vaincus, laissaient planer dans la Citadelle.

Je me souviens que mon père nous avait montré une baïonnette dérobée à un geôlier et qu’il avait dissimulée dans son matelas, et aussi des réchauds électriques de fortune confectionnés à l’aide des ressorts extraits des brides de masques à gaz pour faire réchauffer le café du matin.

Changement en douceur donc, avec l’apparition de la délégation américaine venue recevoir la reddition des forces japonaises.

Mais dans l’intervalle, l’administration de la colonie avait été laissée aux mains des autorités japonaises sans doute pour éviter un face à face explosif entre les anciens colons et les colonisés, soudain manifestement revendicatifs quant à leur indépendance.

De cette délégation américaine, je n’ai gardé aucun autre souvenir précis que des drapeaux rayés et étoilés qui flottaient aux fenêtres des édifices ou à l’avant des Jeeps en déplacement dans les rues de Hanoï.

Puis vint le tour des Chinois. Les accords d’armistice conclus entre les Alliés en dehors de toute consultation de la France sans doute, avaient partagé l’administration provisoire de l’Indochine libérée entre les Chinois au Nord, et les Anglais au Sud.

Après le 9 mars 1945, la rue Alexandre de Rhodes où nous habitions étant un peu excentrée, mes parents avaient obtenu de mon grand-père maternel d’émigrer chez lui,  boulevard Félix Faure, où le climat était apparemment plus sûr.

Mon grand-père habitait une grande maison apte à accueillir plusieurs familles en cas de nécessité. A la suite du coup de force japonais, la maison fut donc l’asile de la grande famille rassemblée. Mon grand-père avait réservé le deuxième étage et un bureau au premier, et avait abandonné à toute la tribu momentanément rassemblée tout le reste de la maison et les dépendances.

Les armées chinoises prirent donc possession de Hanoï vers la fin de l'année 1945 ou le début de 1946. Plutôt que d’une armée régulière et disciplinée,  il conviendrait mieux autant qu’il m’en souvienne de parler de compagnies de seigneurs de guerre habitués à vivre sur le dos des populations. Nous vîmes leurs soldats défiler dans les rues, puis opérer les réquisitions de maisons devant leur servir de lieux de casernement.

La maison de mon grand-père  avait subi la réquisition de tout le premier étage qui devait être occupé par toute une escouade, encadrée par des gradés au col de vareuse couvert d’étoiles et dont je ne me souviens plus le degré.

Leur installation avait été épique. Ils avaient confisqué tout ce qui pouvait servir à la cuisson de leur nourriture, et par exemple, avaient saisi les grandes bassines de lessive pour la cuisson du riz. Lorsqu’une pénurie de combustible menaçait la préparation de l’ordinaire, ils n’hésitaient pas à tailler dans les haies d’hibiscus qui séparaient la cour du jardin, faisant fi de la trop grande jeunesse du bois. Aujourd’hui, je me demande si des portes n’avaient pas aussi subi ce sort.

Rapidement, mon grand-père, excédé par leur sans-gêne, avait retiré les fusibles du tableau de distribution d’électricité. Mais peu décontenancés par cette mesure, ils avaient immédiatement remplacé les supports des fusibles par de simples pointes de menuisier qui devaient ainsi assurer le passage du courant. L’organisation du séjour de cet équipage burlesque était à l’avenant. Le portail d’entrée et les portes des chambres étaient laissés grand ouverts. Entrait dans les pièces, quelle qu’en fût la fonction, bureau ou chambrée, qui voulait.

Je me souviens que, profitant de l’incroyable atmosphère de pagaille généralisée qui régnait au sein de cette troupe, nous nous introduisions au milieu de la mêlée et nous nous amusions avec les téléphones de campagne, que nous faisions fonctionner comme nous l’avions vu faire, au grand désespoir des militaires qui ne parvenaient pas à se débarrasser de la marmaille excitée que nous formions. En l’absence des militaires, il nous arrivait de manipuler sans aucune conscience du danger ce qui ressemblait à des bouteilles en bois surmontées d’un manche goudronné fermé par une capsule. Curieux, nous dévissions la capsule et apercevions dans le manchon une sorte de bille blanchâtre semblable à une boulette de naphtaline retenue par une cordelette. Je frémis aujourd’hui à la pensée que nous aurions pu tirer sur la cordelette et provoquer ainsi l’explosion funeste de ce qui était des grenades que nous aurions dégoupillées.

Il arrivait aussi que, profitant du désordre  et de la désorganisation des lieux, des individus troubles s’introduisaient dans la maison ouverte à tous les vents et subtilisaient matériel et objets de diverses natures. C’est ainsi qu’un jour, deux voleurs s’étaient fait surprendre, en train de farfouiller dans le dédale des pièces,  et immédiatement arrêtés, avaient été brutalement soumis à la torture sous nos yeux d’enfants effarés. Placés à genoux sur le sol gravillonné de la cour, mains liées dans le dos, les deux malheureux  supportaient sur leurs mollets une poutre de bois de section carrée sur laquelle deux soldats solidement bâtis étaient montés, pesant de tout leur poids, et sautillant allègrement durant un long moment. Puis, ils avaient été soumis au passage du courant électrique produit par la dynamo du téléphone de campagne que faisait tourner énergiquement un soldat hilare. Les enfants que nous étions nous sentions atterrés par cet incident. Durant l’après-midi, laissés seuls dans la cour dans cette position de suppliciés, les malheureux râlaient doucement. Et nous restions pétrifiés derrière eux, médusés par cette vision d’horreur, et en même temps étreints de compassion pour ces pauvres êtres réduits à  l’état de loques. Ils avaient soif et nous suppliaient de leur donner à boire. Nous étions partagés entre la peur que nous inspirait leur état de voleurs et la pitié devant leur état lamentable. Tout de même, notre générosité juvénile l’emportant, nous nous étions empressés d’attraper une boîte de conserve vide que nous avions remplie d’eau et que nous  avions approchée de leurs lèvres pour leur permettre de se désaltérer.

Pour la première fois, nos âmes d’enfants innocents étaient confrontées à la fragilité et à la misère de la condition humaine. La bourrasque chinoise avait duré probablement un ou deux mois, peut-être trois. Puis arrivèrent enfin les soldats de la 2ème D.B. du général Leclerc.

Je me souviens qu’un après-midi de mars 1946, nous attendions fébrilement, agglutinés en grappes brouillonnes le long des trottoirs longeant le jardin public et le monument aux morts, l’arrivée de ceux que nous dénommions “les Français de France”. Il faisait déjà une bonne chaleur. Nous nous agitions, impatients et désœuvrés, lorsque soudain, dans le vrombissement impressionnant des half-tracks et des camions GMC, ils sont apparus, sous leurs uniformes poussiéreux. Et à mesure qu’ils progressaient, et sans doute dans la joie et l’impatience de prendre bientôt enfin un vrai repas cuisiné, ils projetaient sur le sol, du haut de leurs véhicules, les caisses de rations de campagne qui venaient se fracasser à nos pieds, et répandaient pêle-mêle boîtes de conserves, paquets de chewing-gum, sachets et tubes divers. Ainsi, je me le rappelle des paquets de préservatifs dont je découvrais l’existence, et que je prenais pour des ballons de baudruche, que je rapportais à la maison en prenant un soin appliqué à les gonfler d’air sous les yeux scandalisés de mon père, qui me les confisquait brutalement sans explications.

Avec la venue des armées françaises, la France reprenait possession de sa colonie. Pas pour longtemps. Le Viêt-minh, organisation indépendantiste vietnamienne, sous la direction de Ho-Chi-Minh, allait se charger de le faire comprendre. Mais pour l’heure, des commissions mixtes franco-vietnamiennes allaient assurer un certain ordre dans la ville.

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22 février 2010 1 22 /02 /février /2010 13:27
Citaselle-de-Hanoi-copie-1

Depuis le 9 mars 1945, l’administration française en Indochine est de fait sous contrôle des autorités japonaises malgré le maintien en place du gouvernement général et de son chef l’Amiral Decoux, ce qui entretient l’illusion d’une certaine souveraineté française. Mais les forces armées et les fonctionnaires  des services de la Sureté ont été incarcérés. C’était le cas de mon père, inspecteur de la Sureté. A Hanoï, la Citadelle fait office de centre de détention.

La ville est parfois troublée par des manifestations des groupes nationalistes ou communistes  indochinois sans doute encouragés en sous-main par les autorités japonaises qui ne manquaient pas, après chaque conquête en Asie de se déclarer porteuses de libération contre « le joug occidental ».

Tension et crainte sont donc le lot quotidien de la population française exposée aux humeurs des autochtones poussés à la vindicte par des agitateurs, parfois manipulés par les autorités japonaises désormais sur le qui-vive alors que les alliés progressent dans le Pacifique. Bref, une situation fluctuante, dont l’issue paraît  incertaine à tous. Il semble alors que tout peut arriver.

Nous habitions provisoirement chez mon grand-père maternel, d’autant plus qu’en l’absence de notre père prisonnier, nous nous sentions très vulnérables.

Parfois, des rumeurs nous laissaient croire que des prisonniers effectuaient une corvée de déchargement le long du fleuve rouge ou à tout autre site militaire. Nous nous hâtions alors vers l’endroit indiqué dans l’espoir de les apercevoir, ou de les embrasser.

C’est ainsi qu’un jour, ma mère, renseignée par un de ces indicateurs curieusement empressés, se rendit au lieu signalé. Là opéraient en effet des prisonniers surveillés par des soldats japonais. Ma mère, apercevant mon père affairé au sein de la corvée tenta de l’avertir de sa présence par de grands gestes accompagnés d’éclats de voix.

Mais subitement, elle se sentit brutalement saisie par des bras énergiques qui la forcèrent à un brusque repli vers une rue adjacente. Des individus se présentant comme des policiers lui ordonnèrent de les suivre. Et elle fut rapidement menée vers un local qu’on lui présenta comme un poste de police. Là, les dits policiers de la « Police du Viet-Nam indépendant » lui annoncèrent le motif de son « arrestation » : tentatives de sabotage et d’aide à l’évasion de prisonniers, nuisant de ce fait à la sécurité du dit Viet-Nam indépendant. Ma mère s’en trouva complètement sidérée. Après un interrogatoire assez brouillon, voire burlesque, elle se retrouva enfermée en compagnie d’êtres de toutes conditions dans un local crasseux exigu et sombre d’où émanait un vague mélange d’odeur de sueur et d’urine.

Sur le moment, une situation aussi inattendue n’avait pas semblé lui créer une grande inquiétude sinon qu’elle se demandait comment avertir ses enfants de son infortune. Elle s’alarmait surtout à l’idée que nous allions trouver étrange une si longue absence, et que nous en serions désemparés. Mais très vite, elle fut attérrée par une situation qu’elle percevait comme incontrolable et exposée à tous les risques.

Mais pour nous, l’après-midi s’étirait et nous voyions la soirée s’approcher sans que notre mère n’apparût. Et un début d’affolement que tentait de calmer ma grand-mère nous gagnait quand enfin notre mère ouvrit avec une précipitation inaccoutumée le portail. Elle paraissait particulièrement nerveuse, ou plutôt agitée. L’incident l’avait visiblement traumatisée. Elle s’empressa de nous en faire la narration  détaillée et tous, nous nous sentîmes saisis d’une frayeur rétrospective. Nous l’accablions de questions, elle se perdait un peu dans ses réponses revivant son odyssée avec une certaine appréhension, comme si une menace confuse planait encore.

Plus tard, alors que l’arrivée des troupes du général Leclerc avaient rétabli la pleine autorité coloniale, des manifestations plus bruyantes tentaient de maintenir la pression sur les autorités françaises. Des défilés accompagnés de banderoles portant des inscriptions telles que « Viet-Nam Doc-Lap » (V.N. indépendant) parcouraient les rues, Parfois, quelques français égarés dans ces lieux étaient pris à partie, certaines fois molestés.

Ainsi, un de ces jours troublés , mon grand-père maternel s’était imprudemment attardé en ville, et surpris au milieu d’un de ces défilés, il avait reçu une gifle retentissante d’un des manifestants. Lui qui avait épousé le plus régulièrement une vietnamienne et avait fondé avec elle une famille, qui avait choisi de rester vivre en Indochine par affection pour cette contrée et son peuple, lui enfin qui avait toujours eu un comportement plutôt paternaliste envers ses domestiques, non pas par idéologie mais tout simplement par humanité, de même que, fonctionnaire des Eaux et Forêts d’Indochine, il avait toujours fait preuve envers ses subordonnés vietnamiens du même respect qu’il témoignait à ses collaborateurs européens, au point que la retraite venue, tous lui avaient adressé une véritable manifestation d’affection, il se sentit soudain trahi et humilié. Il en ressentit une profonde amertume, et blessé au plus profond de lui-même, se hâta, une fois rentré chez lui d’empiler des briques sur le rebord des fenêtres afin disait-il de recevoir les manifestants qui oseraient se présenter à sa porte « comme ils le méritaient ». Parce qu’il avait toujours ouvertement réprouvé les brutalités et l’arrogance avec lesquelles certains traitaient ceux qu’ils appelaient « les indigènes » il avait ressenti cet incident comme une grande injustice à son égard. Certes, le temps aidant, il avait fini par admettre que la gifle qu’il avait reçue n’était pas adressée à sa propre personne, mais au « blanc » qu’il symbolisait, désormais porteur aux yeux des manifestants de toutes les ignominies qu’ils pensaient avoir endurées durant toute la période de domination française. Mais la blessure avait été profonde et il semble qu’il en était resté une trace durable. En outre, le pire était à venir, et pour lui, une page a été douloureusement tournée lorsque les évènements le contraignirent à rentrer définitivement en France. Mais au plus profond de lui-même, ce tournant fut des plus cruels. Et il me semble que jusqu’à la fin, son regard embué resta tourné vers l’Orient

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22 février 2010 1 22 /02 /février /2010 13:26

Après 1943, la présence des forces armées japonaises plaçant Hanoï sous la menace des bombardements alliés , il avait été décidé que désormais, les écoles et lycée seraient transférés à Hadong, à une dizaine de kilomètres de Hanoï, trop exposée. Nous prendrions donc le tramway tous les matins pour nous rendre à l’école loin de la capitale.

Il me semble aujourd’hui que ces déplacements quotidiens n’allaient pas durer très longtemps Car, outre l’intermède de Lon-Chau que je situe mal dans le temps, peu après que nous ussions déménagé, l’attaque japonaise du 9 Mars allait tout remettre en question.

Dans l’intervalle, cette éphémère fréquentation scolaire exceptionnelle m’a laissé des souvenirs délicieux.

Les trajets Hanoi-Hadong par le tramway me semblent aujourd’hui assez épiques.

Tôt le matin, nous nous rendions à pied au lieu de rendez-vous d’où devait partir le “tram” comme nous l’appelions. Chemin faisant, noustramway-a-Hanoi.JPG longions un étang où coassaient à gorge déployée des grenouilles du genre “crapaud-buffle”, au chant guttural et sinistre, et nous hâtions le pas pour atteindre sans tarder la troupe des écoliers babillards, plus rassurante.

Le voyage se déroulait dans un brouhaha indescriptible d’enfants enivrés de ce sentiment de liberté que donne toute situation insolite: chants, cris, exclamations ou apostrophes excentriques... Je me souviens qu’un groupe de garçons un peu plus agés et sans doute excités par le climat de guerre que faisait planer l’occupation japonaise, et aussi par bravade, avait un jour entonné, harmonica en renfort, le “God Save The King”.

Dès le lendemain, informé par la rumeur, mon père avait décidé de nous soustraire de ce qu’il considérait comme une atmosphère périlleuse, et nous avait retiré de l’école.

De ce jour, date le magistère de ma mère, intronisée institutrice de ses enfants.

Mais outre Hadong, mon souvenir retient aussi Lon-Chau. L’exactitude du nom ne m’est même plus assurée, encore moins la localisation exacte. C’était dans la montagne tonkinoise sans doute, ou bien dans la Cordillère d’Annam.

 Les bombardements répétés sur Hanoï avaient incité les Européens à investir ce site où, sans qu’aujourd’hui je me l’explique, des baraquements étaient tout prêts, permettant aux familles de s’installer et de s’organiser sans trop de perturbation, en attendant des jours plus sereins. Autant qu’il m’en souvienne, nous étions vers la fin de 1944.

Mères et enfants y avaient donc pris leurs quartiers, tandis que les pères y venaient passer les fins de semaines, ou parfois quelques jours.

Le site me faisait penser un peu au monde de Robinson Crusoë tel que mes lectures me le laissaient imaginer. L’aire des habitations et de l’école de fortune qui y avait été aménagée était ceinturée de rochers tout proches, et je me souviens d’une grotte qui me paraissait alors gigantesque, sous une voûte rocheuse dont le sommet, très haut au dessus de ma tête, s’ouvrait vers le ciel, sans doute par un aven. Au fond se trouvait un autel bouddhique, et y trônait une sorte de statue couverte de laque rouge et de dorure et dotée de bras multiples dont la vue m’intriguait profondément. L’ensemble revêt dans mon souvenir un aspect semblable au paysage de la Baie d’Along, l’eau en moins.

Les après-midi libres, ou au sortir des cours, nous partions escalader les rochers à la recherche de cristaux de quartz que nous conservions précieusement comme s’il s’était agi de diamants. Ou bien nous errions dans les environs, explorant la région, avec un sentiment exceptionnel de liberté et d’aventure. Il nous arrivait de nous hasarder dans des boyaux à travers les rochers, comme à la recherche de je ne sais quelle caverne mystérieuse dans le ventre de la terre. Nous avions l’impression de vivre en marge du monde, ou à une aube d’humanité.

Le séjour n’avait pas duré très longtemps. Même, mon père ayant considéré ce refuge comme illusoire, et des rumeurs ayant sans doute commencé à circuler sur les difficultés dans les rapports entre Français et Japonais, notre famille avait déserté les lieux avant le repli général, pour prévenir une éventuelle débâcle qui nous eût exposés à la vindicte des “autochtones” dont les colons craignaient en permanence les réactions nationalistes. Aujourd’hui, je mesure la chance qu’avait alors représentée pour nous cette décision. Car, c’est peu de temps après que se produisit le coup de force japonais contre les troupes françaises dans la nuit du 9 Mars 1945. Et les familles qui se trouvaient encore à Lon-Chau ce soir là furent contraintes de quitter précipitamment les lieux en abandonnant tout sur place, et se trouvèrent jetées à pied, sur la route en direction de Hanoï.

Peu avant notre retour vers Hanoï, nous avions fêté Noël à Lon-Chau. Noël exceptionnel à double titre.

Les familles avaient décidé de tout organiser en commun, préparant le repas du réveillon, qui devait se dérouler devant une vaste table commune, sans doute plutôt des planches allongées en forme de U sur des tréteaux. Et la soirée allait commencer par la messe de minuit, célébrée dans la grotte illuminée pour la circonstance. Durant l’office, j’eus l’impression de me trouver dans la grotte de Bethléem, telle que la reproduisait la crèche que traditionnellement on dressait à chaque Noël, et le cérémonial me donnait le sentiment que j’assistais à la Nativité.

Au sortir de la cérémonie, nous eûmes droit à la traditionnelle distribution des cadeaux. Je me souviens que j’avais reçu pour ma part la version enfantine des Mille et Une Nuits en 2 volumes, dont la couverture portait des illustrations semblables à des enluminures, aux couleurs éblouissantes.

Après, le repas, pris dans une atmosphère de chaude solidarité renforcée encore par le climat d’insécurité qui présidait au séjour et qui poussait les familles à serrer les coudes, répandait parmi nous comme une sorte de communion au diapason de la soirée. Je me sentais en accord avec les souhaits échangés et les chants de Noël entonnés durant ou après la messe.

Beaucoup plus tard, l’âge mûr atteint, et aujourd’hui encore, après toutes ces années, j’ai acquis le sentiment d’avoir vécu durant toutes ces périodes incertaines et exposées, un épisode exceptionnel, comme une tranche de vie empreinte à la fois d’inquiétude et de merveilleux. Etrange période d’enfance libre et insouciante.

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22 février 2010 1 22 /02 /février /2010 13:25
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Un jour de 1943 ou 1944 je ne sais plus très précisément , alors que je me trouvais au lycée Albert Sarraut de Hanoï où j’étais élève de 9ème ou de 8ème sous le magistère de Madame Le Gall, un bombardement  nous surprit qui nous précipita dans les tranchées.

Pour la première fois, je pris réellement conscience que nous étions en guerre. Jusque là, les alertes, annoncées par les sirènes, nous laissaient le temps de nous diriger sans grande conviction vers les abris, où nous attendions patiemment que la sonnerie nous annonçât la fin des opérations.

Après quelques instants  dont la longueur m’échappe aujourd’hui, nous entendîmes distinctement le vrombissement des avions, puis des bruits sourds d’explosions qui se faisaient progressivement plus fracassants pour devenir tout à coup tout à fait proches et effrayants, nous faisant comprendre que la catastrophe nous concernait directement.

L’Indochine était alors occupée par les troupes japonaises, et leurs positions étaient fréquemment la cible de l’aviation anglo-américaine.

Lorsque l’alerte prit fin, soulagé bien qu’encore apeuré, je sortis avec mes condisciples des abris, puis nous reçûmes l’autorisation de regagner nos domiciles.

Chemin faisant, je me posais des questions, mais j’avais encore une conscience très vague de ce qui venait de se produire.

Mais à mesure que je m’approchais de mon quartier proche de la gare, je réalisais que le bombardement avait sérieusement touché les environs. Des maisons étaient endommagées, des trous impressionnants béaient le long des rues..

Enfin j’atteignis la maison. Vision d’horreur: le toit était béant, des tuiles dévalaient les pentes, les murs étaient percés, des gravats gisaient épars, à travers la cour et le jardin.

Vite, je me précipitai dans la maison, et vis ma mère,  appuyée le long du mur de la véranda, le genou entouré d’une large bande de gaze. Nous gagnâmes ensemble la salle de séjour, et du plafond, je vis pendant au bout des fils électriques, le ventilateur, les ailes ballantes, comme d’une libellule atteinte en plein vol.

Ma mère me raconta que, surprise par l’alerte au haut de l’escalier, elle n’avait pas eu le temps de descendre, et le souffle d’une explosion l’avait projetée au bas des marches.

A travers tout le quartier, des gens, voisins, passants, se démenaient, s’agitaient, se cherchant, s’interpellant, tentant d’évaluer du regard les dégâts du bombardement.

Alors, dans l’attente d’un retour à une situation plus apaisée, et le temps de trouver une nouvelle demeure, mes parents obtinrent de mon grand-père maternel de nous réfugier chez lui. Mais notre installation n’allait pas s’effectuer de façon aussi simple et rapide qu’on pouvait le souhaiter. Mon grand-père avait reçu sa part des troubles du moment : une bombe incendiaire gisait, intacte, dans son jardin, et il fallait attendre l’intervention des artificiers.

Enfin notre installation put s’effectuer, et notre séjour dans ce havre provisoire devait durer quelques mois. Puis, nous nous installâmes dans un nouveau quartier, rue Alexandre de Rhodes.

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