Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
23 avril 2021 5 23 /04 /avril /2021 09:28
Science sans conscience ...

« Science sans conscience … »

Dans le journal Le Monde du 17 avril 2021 :

Des chimères humain-singe cultivées in vitro

Plusieurs équipes, dont une française, ont injecté des cellules humaines dans des embryons de macaque

C’est un pas symbolique qui vient d’être franchi, en matière de recherches sur l’embryon.
Certains parleront d’un risque de « transgression » ou de « brouillage des frontières » entre l’espèce humaine et les autres espèces animales. D’autres mettront en avant les perspectives de progrès scientifiques et biomédicaux ouvertes par ces travaux. Deux équipes, l’une française, l’autre sino-américaine, sont parvenues à créer des embryons chimères singe-homme. Plus précisément, elles ont introduit des cellules humaines dans des embryons de singe, qui ont ensuite été cultivés en laboratoire durant trois jours (pour l’équipe française) ou dix à dix-neuf jours (pour l’équipe sino-américaine). Les taux de cellules humaines intégrées dans les embryons de singe, cependant, sont restés très faibles dans la première étude, publiée le 12 janvier dans la revue Stem Cell Reports. Et modestes dans la seconde étude, publiée le 15 avril dans la revue Cell. Ces travaux suscitent une salve d’interrogations, notamment sur les bénéfices escomptés et les risques de ces travaux, qui résonnent avec la révision en cours de la loi de bioéthique en France. L’article 17 du projet de loi entend encadrer les embryons chimères. C’est un des points de discorde : si l’Assemblée nationale veut autoriser l’adjonction de cellules humaines dans un embryon animal, le Sénat s’y oppose farouchement. Après deux navettes parlementaires, la commission mixte paritaire a échoué, en février, à trouver un compromis. Le texte devrait revenir en juin à l’Assemblée pour une dernière lecture
(1). Enjeux éthiques « Ces recherches n’ont pas vocation à faire tout et n’importe quoi. Nous sommes très conscients de leurs enjeux biomédicaux mais aussi éthiques », assure Pierre Savatier de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) à Lyon, qui a coordonné l’étude française. Si le fameux article 17 était retenu, il autoriserait l’adjonction de cellules humaines dans un embryon ou un organisme vivant animal. En revanche, « nous sommes tous d’accord pour interdire le paradigme inverse (2) , qui consisterait à injecter des cellules animales dans un embryon humain », insiste le chercheur.« Chimère » : le mot peut effrayer. Il évoque une créature fantastique à corps de lion, tête de chèvre et queue de serpent. Mais pour les chercheurs, une chimère est « une entité biologique fabriquée par l’homme, où l’on mélange volontairement deux types de cellules, porteurs de génomes différents », précise Pierre Savatier. De fait, les chimères animal-homme sont au cœur de la recherche biomédicale depuis des décennies – sans qu’on s’en émeuve. Par exemple, les chercheurs injectent des cellules tumorales humaines chez des souris pour étudier la biologie des cancers et l’efficacité de nouveaux traitements. Les premiers embryons chimères datent de 1969 : il s’agissait d’embryons caille-poulet, créés par la biologiste française Nicole Le Douarin. En 1984, des embryons chèvre-mouton étaient produits ; en 2010, des embryons souris-rat... En 2017, l’équipe de Juan Carlos Izpisua Belmonte, du Salk Institute en Californie, un des leaders du domaine, injectait des cellules souches humaines dans des embryons de porc, qui ont été cultivés vingt-huit jours. Mais les cellules humaines contribuaient très peu au développement des embryons. L’objectif ultime de ces travaux : produire des organes humains dans des  élevages animaux, pour pallier la pénurie d’organes (3). Pour l’heure, « ce scénario relève de la science-fiction », note M. Savatier. Les deux nouvelles études décrivent les premiers embryons chimères singe-homme jamais obtenus. Les deux équipes ont eu recours à des « cellules souches pluripotentes induites » (cellules iPS). En clair, ce sont des cellules produites en laboratoire à partir de cellules de la peau adulte. Ces dernières ont été génétiquement reprogrammées pour revenir à un état très immature, non spécialisé. Elles ont alors le potentiel de se spécialiser en n’importe quelle cellule du corps humain (4). Cette reprogrammation a valu à son inventeur, le Japonais Shinya Yamanaka, le prix Nobel de médecine en 2012. On compare souvent ces cellules iPS aux véritables cellules souches embryonnaires humaines (cellules hES), obtenues à partir d’embryons humains âgés de cinq jours. Cellules iPS et hES sont toutes deux « pluripotentes » : elles peuvent se différencier en n’importe quel tissu de l’organisme. « Elles sont semblables, mais pas tout à fait identiques »,observe Frank Yates, responsable du laboratoire Cell Techs (Sup’Biotech -CEA). L’équipe française a voulu comparer les taux de chimérisme entre différentes espèces animales. Les chercheurs ont donc injecté tantôt des cellules ES de souris, tantôt des cellules ES de macaque ou des cellules iPS humaines dans des embryons de lapin ou de singe. Résultats : avec les cellules ES de souris, 100 % des embryons de lapin et de singe étaient chimériques. Mais avec les cellules ES de primates (homme ou macaque), 20 % à 30 % seulement des embryons donnaient des chimères, qui n’intégraient que deux à trois cellules de primates. L’étude publiée dans Cell, cosignée par Juan Carlos Izpisua Belmonte, montre de meilleurs taux de chimérisme singe-homme. Ce travail a bénéficié d’une technique décrite en 2019 par des équipes chinoises : elle permet de cultiver des embryons de macaques jusqu’à dix-neuf jours après la fécondation. A ce stade du développement, la plaque neurale commence à s’invaginer chez les primates – mais on est bien loin d’un système nerveux fonctionnel. Lignes rouges à ne pas franchir. Les chercheurs ont injecté 25 cellules iPS humaines dans 132 embryons de macaques âgés de six jours. Résultats : au jour 9, plus de la moitié des embryons étaient chimériques ; au jour 13, ils étaient encore un tiers. Ensuite, le nombre d’embryons survivants chutait : ils n’étaient plus que trois au jour 19. En outre, « le taux de cellules humaines ne dépasse pas 5 % à 7 % des cellules de l’embryon chimère », relève Pierre Savatier. Les chercheurs ont commencé à identifier les signaux du dialogue qui s’instaure entre les cellules des deux espèces. Les expériences ont été conduites en Chine ;le Salk Institute, lui, a effectué les analyses bio-informatiques.« L’objectif de Belmonte est clairement de trouver pourquoi il n’arrive pas à produire un pancréas humain chez le cochon, ce Graal de        la médecine régénérative », indique Hervé Chneiweiss, président du Comité d’éthique de l’Inserm. Dans Le Monde du 9 mars, un collectif de chercheurs (dont Pierre Savatier et Frank Yates) listait les retombées, à court ou moyen terme, de l’étude des embryons chimères. Ces travaux devraient aider à « déchiffrer les mécanismes du développement embryonnaire sans utiliser les embryons humains “surnuméraires” avec, pour finalité médicale, l’amélioration des technologies de PMA [procréation médicale assistée] ; (...) ; étudier la toxicité de composés chimiques ou de nouvelles molécules thérapeutiques sur les cellules humaines au sein d’un organisme vivant ; à plus long terme, produire des tissus et organes humains pour la transplantation. » Et de conclure :« La nouvelle loi relative à la bio-éthique doit les encadrer mais pas les interdire. » Les encadrer, oui. Le 28 juillet 2018, le Conseil d’Etat identifiait trois risques principaux liés aux embryons chimères animal-homme : « Le risque de susciter une nouvelle zoonose [une infection qui se transmet des animaux vertébrés à l’homme et vice versa] ;le risque de représentation humaine chez l’animal ; et le risque de conscience [en cas de migration des cellules humaines vers le cerveau de l’animal] (5) ».Selon Pierre Savatier, il s’agira aussi de veiller à ce qu’aucune cellule humaine ne se différencie en gamètes (cellules sexuelles) dans l’embryon animal. D’où les « trois lignes rouges à ne pas franchir » : la contribution des cellules souches humaines à la formation du cerveau, des gamètes ou de
l’apparence de l’animal. Trois écueils que le bio-éthicien Henry Greely, de l’université Stanford, résume par « Brain, balls, and beauty ».Pour l’heure, ces interrogations restent théoriques. « Mais la recherche dans ce domaine est incroyablement dynamique », note Frank Yates. D’où l’importance d’une réflexion éthique dès à présent. Le débat, en effet, « deviendra bien plus complexe si ces chimères (...) ne restent pas des embryons in vitro, mais sont implantées [dans un utérus animal] et deviennent des fœtus donnant naissance à des créatures vivantes.(...) Nous devons commencer à réfléchir à cette possibilité », écrivent dans Cell Henry Greely, de l’université Stanford, et Nita Farahany, de l’université Duke.« Compte tenu de la sensibilité possible du public à ces sujets, une délibération publique est essentielle », estime Hervé Chneiweiss. A ce jour, ajoute-t-il, «il n’existe aucune raison morale sérieuse d’interdire la greffe de cellules humaines à un embryon animal. Les sénateurs introduisent une grave confusion en voulant interdire ces chimères de recherche. Il s’agit là de recherches fondamentales, qui visent à comprendre les conditions du développement et de la différenciation des cellules humaines. Elles n’ont rien à voir avec la loi de bio-éthique, qui encadre les recherches sur l’embryon humain et les techniques de PMA de futurs enfants humains. Dans ce dernier cadre, il est effectivement légitime d’interdire toute adjonction de cellules animales ».

(Florence Rosier – Le Monde du Samedi 17 avril 2021).

Mes observations :

(1)  Or, en cas de désaccord entre les deux assemblées, c’est l’Assemblée nationale qui a le dernier mot. Voyons ce que la majorité macronienne en décidera.

(2)  Oui. Mais le propre du chercheur c’est de chercher à connaître la réponse à toute question. Et selon la loi dite de « Gabor » « tout ce qui est possible, un jour se fera ».

(3)  Et pourtant, il y a déjà la technique du « clonage thérapeutique ».

(4)  Le voilà le clonage thérapeutique.

(5)  Qu’en feront des parlementaires toujours avides de productivisme et de rentabilité ?

Xxx

Le 2 novembre 2012, j’écrivais déjà sur mon blog les lignes suivantes, page 244, sous le titre : « Dr Krankeinstein (suite) » :

« Dans son laboratoire, le chercheur tente de découvrir tout ce qui dans son domaine est possible ou ne l’est pas. TOUT. Il s’agit de faire avancer la connaissance, et à ce stade, il n’est pas question de morale. Le savant Einstein a fait avancer la connaissance dans le domaine de l’atome, point. Cela n’a sans doute pas empêché le citoyen Einstein, au lever de son lit, dans sa maison, ou au milieu des siens de se poser des questions d’éthique. Au demeurant, n’a-t-il pas dit :

« La valeur morale ne peut pas être remplacée par la valeur intelligence, et j'ajouterai: Dieu, merci

Comme tout savant, il a cherché à découvrir les potentialités de la nature ici et maintenant, et seulement cela.

De même, avec la technique des cellules souches IPS dont l'inventeur est le japonais Shinya Yamanak, lauréat du prix Nobel de médecine 2012, on sait qu’il est désormais possible de fabriquer des spermatozoïdes et des ovules à partir de fibroblastes, des cellules que l'on trouve sous la peau. Mais à partir de là, « Le passage de ces techniques à l'espèce humaine est juste une question de temps, et les associations homosexuelles militeront pour que ce délai soit bref ».

Or, il ne s’agit plus ici de science, mais d’éthique. Les découvertes de la science doivent elles toutes être mobilisées sans distinction au profit du désir de chacun?

Comme le savant Albert Einstein, le docteur Shinya Yamanak a fait son travail de chercheur. Nul ne sait ce que le citoyen Shinya Yamanak en a conclu en conscience. Et grâce à la science, les avancées de la connaissance font que ce qui est impossible aujourd’hui peut très bien devenir possible demain. Le propre de l’esprit humain est de chercher à repousser toujours plus loin les limites de la connaissance. Au citoyen ou à ses mandataires donc de tracer en conscience les contours de ce qui fait la dignité humaine.

« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». Mais au chercheur la science, moteur de la connaissance, et au citoyen la conscience, moteur de l’individu pensant. Les humains l’ont bien compris qui ont créé hors du monde scientifique une instance qui dit l’éthique. C’est chez nous le comité national consultatif d’éthique. Qu’il fasse son travail en aval de la découverte. Au plan international, les Nations Unies ont déclaré que "Les Etats membres sont invités à adopter toutes les mesures voulues pour protéger comme il convient la vie humaine dans l'application des sciences de la vie". Tout est dit ».

Que dirais-je d’autre aujourd’hui, 23 avril 2021 ?

 

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : Le blog de roger.rossi.over-blog.com
  • : questions d'actualité. Evènements vécus.
  • Contact

Recherche

Liens