Lettre à Natacha Polony.
Vous écrivez dans « Marianne » du 4 au 10/9/2020:
« Une liberté … n’existe pas si on ne l’applique pas, que ce soit par respect des croyances des autres ou par peur ».
Or, me semble-t-il, en l’occurrence, il y a facilement tendance à confondre la peur et le respect d’autrui.
« On peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui ». Et Pierre Desproges ou Guy Bedos savait le faire avec beaucoup de doigté. Il y a là une question de savoir-vivre, on dit aujourd’hui du vivre-ensemble.
Chacun a pour lui-même une part de sacré, famille, parents, disparus, patrie ou croyance, qu’il entend préserver de la trivialité. Et en faire publiquement des gorges chaudes pourrait être vécu comme une blessure.
Que Charlie-hebdo pratique la dérision en tous domaines et sans limites reste du ressort de la liberté telle que vous la concevez. Personne n’est contraint de l’acheter ou de le lire. Mais imposer cet exercice en public sans restriction relèverait de mon point de vue de la goujaterie. Où est la peur ?
Dans le même registre, un cinéaste ou un écrivain pourrait librement imaginer une vie de Jésus ou de Mahomet qui aurait fréquenté dans sa jeunesse les bordels puis aurait épousé une sado-masochiste, à chacun la liberté de s’y intéresser . Mais l’infliger à tout public relèverait là encore d’un abus.
Jadis, on lisait sur les murs : « Défense de cracher » ou « Défense d’uriner ». Ces prescriptions ont disparu. Est-ce à dire que cela est désormais possible ?
La loi ne règle pas tout.
Je citerai pour conclure ce que le philosophe André Comte-Sponville écrit dans « Le capitalisme est-il moral » Editions Albin Michel. p 52-53) :
« Imaginez un individu parfaitement respectueux de la légalité du pays dans lequel il vit, qui ferait toujours tout ce que la loi impose, qui ne ferait jamais ce que la loi interdit – le parfait légaliste. Mais qui s'en tiendrait à cette unique détermination …
Aucune loi n'interdit le mensonge… l'égoïsme … le mépris … la haine … la méchanceté.
Si bien que notre individu parfaitement légaliste pourra, en toute légalité républicaine, être menteur, égoïste, plein de haine et de mépris, en un mot méchant. Qu'est-ce que ce sera d'autre qu'un salaud légaliste? »
Est-ce dans une telle société que nous voulons vivre ? Pour moi en tous cas, certes non.
Mais allons plus loin. Qui les dessinateurs de Charlie-hebdo brocardaient-ils ? Pas Mahomet qui se plaint, mais les « cons » que sont les islamistes qui se cachent derrière son culte pour imposer la charia contre les lois de la République. Il s’agit donc de politique et de terrorisme, et on est loin des questions de religion et donc d’islamophobie, n’en déplaise aux idiots utiles.